Pour une fois il faisait beau. En quittant le Cameroun, le temps était clément, comme toujours on est content de quitter le Cameroun pour se libérer psychologiquement. Je dis libre de travailler ce qu’on peut . C’était en novembre 1996, nous avons attendu le 6 novembre passé ; le 7 au matin nous avons pris la route avec Jules Kemgué qui par un choix volontaire, m’avait choisi parmi ses amis à cause de l’intégrité, c’est un ami intègre et honnête clamait-il partout. Tout semblait plus léger. Mon sac était prêt, un modeste baluchon. Avant de partir, j’ai embrassé ma nourrice Mamy Jacqua la regretté digne mère. J’étais conscient que ce voyage était plus qu’un simple déplacement. En un trait deux mouvements, nous étions à Yaoundé à l’hôtel Kaéli gérer par un ami nous avons passé une nuit.
Puis la route est mis sur Ebolowa, en quelques heures, nous étions déjà plongés dans une autre réalité. Le chauffeur, comme pour nous préparer, avertissait : ceux qui vont traverser pour le Gabon doivent présenter leur carte d’identité, surtout pas leur passeport si non ils seront rackettés pour défaut de visa. Le parcours pour Ebolowa fut un jeu d’enfant. Mais sur cette route d’Ambam, le Cameroun prenait une autre forme. On se sentait presque étrangers, comme si ce coin du pays appartenait déjà à une autre souveraineté. Les passagers habitants, de cette ville ont une fierté démesurée, dans la voiture ils sont loquaces, ils traitaient les autres visiteurs camerounais avec méfiance, surtout ceux venant de Douala. « Vous allez au Gabon pour vous vanter » disaient-ils. Pour ce voyage, il y avait des anciens étudiants comme moi, des commerçants et d’anciens prisonniers qui venaient d’être libérés. On préfère l’aventure quand on a mis long en prison.
Et le pays prisé est le Gabon. Nous sommes arrivés à Bitam un samedi, il y avait le marché frontalier appelé « marché mondial » de Mbamikok qui regroupe les camerounais, les congolais, les guinéens. C’est là que j’ai pris conscience de la vie chère. Un plat d’omelette et un morceau de pain et une tasse de café à 2000 fcfa. J’avais déjà mangé … Bitam, est une ville agricole marquée par l’industrie de l’hévéa, nous sommes arrivés après bien des péripéties. Là-bas, tout passager devait patienter une heure à la gare routière avant de poursuivre sa route. Ce fut l’occasion pour moi de découvrir une réalité crue. Deux bagarres éclatèrent sous mes yeux, violentes et absurdes : l’une pour un régime de plantains, l’autre pour une bouteille de bière. Les disputes dégénérèrent vite, et le sang coulait déjà.
L’un des hommes, blessé, disparut un moment avant de revenir avec un frère imposant, qui, pour en découdre et venger son frère dut se blesser d’abord pour montrer sa fureur. Un Spectacle brutal et désolant. J’ai vu comment deux hommes se battent comme les animaux sous le regard indifférent de la populations qui vaquaient à ses occupations. C’est ainsi qu’ Emmanuel, un vendeur local, auprès de qui je m’étais accroupi, me fit savoir que c’était l’usage et que ça n’était rien qu’il fallait attendre le soir : « attends le soir me dit-il tu verras le spectacle .» Quand la nuit tomba, la gare routière se transforma en un marché animé. Apparaissaient alors les « microbes » – des enfants bien habillés, loin de l’image des petits voyous qu’on pouvait décrire au Cameroun.
Les microbes c’est quelques chose qui existent depuis au Gabon avant le Cameroun, c’est une création gabonaise, on les appelle les « Koulmondjes » nombreux au Pk5 et Pk6. Ils s’attaquaient aux étrangers, dépouillent les plus faibles, avec un rire qui les rassure. Ils prennent tout, Souliers, montres, chapeaux : tout y passait. J’y laissai mes derniers 1000 francs, impuissant face à cette mécanique bien rodée. « Monsieur, bienvenue au Gabon, pays de droit », lançait l’un d’eux avec ironie. Nous avons ensuite pris la route pour Libreville dans une Pajero bondée, conçue pour dix passagers mais nous étions ce jour-là dix-sept âmes entassées. Le trajet fut un calvaire : écrasés les uns contre les autres, sans possibilité de bouger ou d’uriner. Le chauffeur, Serge, fils d’un Général, filait à une vitesse effrayante, indifférent à la sécurité.
Il nous fallait arriver avant 5 heures pour éviter le dernier poste de contrôle, le plus sévère. Là-bas, un policier malien, impassible, tendit la main sans un mot. Dix mille francs dans un lugubre français des sahéliens, et le cachet est apposé à la vigueur d’un marteau sur le clou. Nous étions enfin au Gabon. Alors qu’on posait le sac à la maison, le journal télé de 12h faisait l’annonce de deux parents qui avaient oubliés leur enfant dans un taxi. Tout avait bien commencé. À Libreville, je découvris rapidement que la « brasserie » où je devais travailler et qui était promise par Jules n’était qu’un mythe. Quelques heures à peine après notre arrivée, je me retrouvais dans les champs, débroussaillant, repiquant, semant, récoltant. Les journées au champ étaient rudes dans les plantations, ponctuées de bagarres pour l’eau.
Il ne faut pas commettre une erreur et boire l’eau d’une autre personne cachée dans un buisson, prendre la gourde de quelqu’un et boire de son eau est un crime dans un champ. Et moi qui venait d’arriver ne connaissais pas cette règlement. je l’ai fait avec Tiko’o, un Guinéen. Les camarades me firent savoir qu’il ne faut pas que Tiko’o découvre ma faute. J’aurai deux heures de bagarre garanties. Effectivement vint et menaça. Je lui fis savoir que je pourrai avoir peur de tout le monde sauf d’un guinéen. Je criai sur Tiko’o. Il rentra dans sa coquille. Un miracle pour les paysans. Tous avaient peur de Tiko’o. Je venais de mettre fin à l’hégémonie de cet homme qui les maitrisait au champ. J’ai sauvé tous les camerounais devant un robuste Guinéen qui semait la terreur au champ sans me battre.
C’était ma première victoire. Tiko’o n’était pas différent de Ngannou. Comme un Garçon de Nkongsamba je savais que les robustes il faut les montrer qu’ils ne t’impressionnent pas, cela les désarçonne. Les jours se succédaient, harassants. Les pauses étaient rares, les repas moins frugaux à midi un peu du riz à l’huile avant de replonger dans un labeur incessant. Le soir venu, épuisé, je me joignais aux autres pour trier des sacs d’aubergines, la fatigue me terrassant avant même de songer à manger. D’autres sont venus après moi, comme Alain Papou, qui abandonna après une semaine, Dany frère de Marlyse qui sombra dans la folie avant de revenir mourir au Cameroun.
Tchoubi, Bernard Tapie, John Wear et surtout ce Alain Papou qui parti pour le Congo on ne le reverra jamais : tous tombèrent, emportés par cette terre qui ne laissait que des cicatrices. Moi-même, je suis rentré du Gabon comme j’y étais entré : les mains vides, l’âme marquée. C’est là que j’ai perdu une partie de moi. Et l’autre partie à force de résilience je me suis battu avec. Ce pays n’offrait rien d’autre que des épreuves. C’était le mystère du Gabon : une terre qui prenait tout et ne rendait rien. On te colle des motifs, on t’enferme, souvent pour rien, on te gifle pour rien, on te rappelle à chaque fois que tu n’es pas chez toi.
C’est pourquoi il faut voyager, rien ne développe l’intelligence comme les voyages disait Emile Zola. Ce pays, mystique et cruel, m’a appris une leçon : voyager forge l’esprit, mais il ne laisse pas toujours intact. Si vous restez immobile, vous manquez l’essentiel, mais voyager ne garantit pas non plus le succès. Mais il faut voyager. Les voyages élargissent les horizons, et permettent de découvrir de nouvelles cultures, de nouveaux modes de vie et d’apprendre à voir le monde sous un angle différent. Il stimule la curiosité et développe l’ouverture d’esprit, en confrontant nos certitudes à la diversité des expériences humaines. En sortant de sa zone de confort, le voyage renforce la résilience, la confiance en soi et offre des souvenirs impérissables qui enrichissent l’âme. Quand on affronte ces souffrances-là, on se plaint moins des autres.