FRANCO RAPHA (de Petit Pays)
NI CAMTEL NI FALLY IPUPA NE SONT RESPONSABLES DE LA SITUATION DE LA MUSIQUE CAMEROUNAISE.
Depuis l’annonce du concert de Fally Ipupa le 30 décembre prochain au stade de la Réunification de Bepanda à Douala, les indignations plus ou moins légitimes n’ont pas cessé de faire jaser la toile et le public Camerounais. La sortie de Lady Ponce, qui n’a rien contre Fally Ipupa, s’inscrit dans la même logique. Je voudrais tout d’abord tirer un coup de chapeau et témoigner tout mon respect à Fally Ipupa et à son équipe, pour le professionnalisme, la discipline et le courage avec lesquels ils continuent de hisser la musique africaine au plus haut sommet du monde. Je voudrais également témoigner mon respect et adresser mes félicitations à l’entreprise Camtel qui s’est lancée dans la concurrence pour conquérir le terrain de ce grand marché de la téléphonie mobile. On ne saurait donc en vouloir ni à Camtel, encore moins à Fally Ipupa qui sont, chacun en ce qui le concerne, dans une démarche légitime. Par contre, en cherchant de manière lucide les raisons profondes de cette situation, plusieurs responsabilités se dégagent que l’on pourrait répartir comme suit :
L’État du Cameroun 60%
Les médias camerounais 20%
Les promoteurs camerounais 10%
Les artistes camerounais 10%
L’ÉTAT DU CAMEROUN.
L’État du Cameroun est le principal responsable de la situation actuelle de la musique camerounaise. Faute de politique pour promouvoir et protéger la riche diversité culturelle de notre pays, l’État du Cameroun n’a cessé de tuer volontairement les musiques locales au bénéfice de celles qui viennent d’ailleurs, profitant de l’espace libre qui leur est offert et aidé par les politiques de promotion élaborées et organisées par leurs pays d’origine. Cette absence de politique culturelle a fini par tuer l’industrie du showbiz camerounais qui a fait naître toutes les icônes de la musique camerounaise, notamment MANU DIBANGO, NKOTTI FRANÇOIS, LES TÊTES BRÛLÉES, EBOGO ÉMÉRANT, SALY NYOLLO, EKAMBI BRILLANT, BEN DECCA, PETIT PAYS, CLAUDE NDAM, TAKAM II, GRÂCE DECCA, LADY PONCE, et j’en passe…
Avec l’entrée de la piraterie au Cameroun, tous les producteurs ont fermé boutique et se sont reconvertis vers d’autres activités pour leur survie. Faute de producteurs, il ne peut plus avoir de production de chansons et d’albums de qualité au Cameroun, ni voir d’autres nouvelles icônes de nos musiques locales naître. Les quelques jeunes artistes qui réussissent à sortir la tête de l’eau au Cameroun actuellement sont ceux de la musique dite urbaine, qui, eux, sont repérés par des producteurs étrangers, qui ont leurs marchés ailleurs afin de rentrer dans leurs investissements. Ceci au détriment de la culture et des musiques locales camerounaises.
Ce n’est d’ailleurs pas à ces producteurs étrangers de venir promouvoir nos cultures locales, eux ils font du business parce qu’ils ont d’autres marchés en dehors du Cameroun. Sans nous en rendre compte, nos musiques locales sont entrain d’être tuées ainsi à petit feu et finiront par disparaître si rien n’est fait. Parce que, lorsque la génération de Petit Pays, Ben Decca, Lady Ponce… qui, elle, est née grâce à l’industrie du showbiz camerounais de regrettée mémoire, il n’y aura plus personne pour assurer la relève, puisque tous les jeunes basculeront vers la musique dite urbaine qui n’est pas notre culture, dans l’espoir d’être repéré par des producteurs étrangers et avoir une chance de s’en sortir.
Le Président de la République Paul Biya, par le décret n° 2001/389 du 5 décembre 2001, avait créé un Compte d’Affectation Spéciale pour le Soutien de la Politique Culturelle, qui avait pour mission de subventionner la création d’œuvres musicales et littéraires. Malheureusement, la quasi-totalité des bénéficiaires dudit compte était des artistes qui ont déjà une carrière et une capacité financière qui leur permette de s’auto-produire, puisqu’ils sont les derniers produits de notre défunte industrie du showbiz. Les quelques jeunes qui en ont bénéficié étaient curieusement ceux de la musique dite urbaine, ou alors il fallait avoir quelqu’un devant comme on dit au quartier. Depuis 2018, ce compte ne fonctionne plus pour des raisons que nous ignorons jusqu’ici. Du coup, l’on ne sait plus à quelle porte toquer.
LES MÉDIAS CAMEROUNAIS.
Dans cette échelle de responsabilités, les médias viennent en deuxième position. Grâce à leurs mauvaises politiques de diffusion des musiques sur leurs antennes ainsi que des coûts élevés des prix de la promotion dans leurs services commerciaux, les jeunes artistes sont aujourd’hui dans l’incapacité d’oser le rêve d’assurer la relève de notre culture. Dans un média comme Canal 2 International par exemple, le coût de la promotion est de 250.000 FCFA/mois, à raison d’un passage/jour de lundi à vendredi, pour un total de 20 passages par mois, sans aucun autre avantage quelconque. Ce qui est complètement dérisoire dans un espace médiatique où il n’existe plus de monopole. Combien de jeunes artistes, sans producteurs et dont la plupart viennent des familles pauvres, peuvent payer un tel montant ?
Ceux qui réussissent l’exploit de le faire n’obtiennent même pas de résultat satisfaisant, puisque les 20 passages n’ont pas un grand impact sur le public. Entre-temps, le même média utilise ses espaces libres pour diffuser les musiques d’ailleurs qui ne payent aucune promo chez eux et qui ne le regardent même pas. Cet exemple pris sur Canal 2 peut être élargi à tous les autres médias publics et privés, radios et télés du Cameroun. Il appartient aussi à l’État de réguler le secteur.
LES PROMOTEURS CAMEROUNAIS.
Les espaces publics, bars, snack-bars, restaurants, boîtes de nuit… qui sont détenus par des promoteurs, sont également responsables de la situation. En effet, ils ont la possibilité d’agir en faveur de la promotion des musiques locales en recommandant explicitement aux DJs qui travaillent dans leurs espaces, un taux majoritaire (80%) de diffusion des musiques locales. Si tous le faisaient, la musique camerounaise pourrait reconquérir le terrain et notre culture pourra aussi s’imposer aux autres. Là également, l’État peut jouer un rôle régulateur.
LES ARTISTES CAMEROUNAIS.
Il faut également que les artistes camerounais eux-mêmes fassent aussi leur propre mea-culpa en terme de qualité des chansons. Tout ne tourne pas qu’autour des histoires qui sont en-dessous de la ceinture. Fally Ipupa ne fait pas ce type de chansons parce qu’en RDC il existe une commission de censure pour des chansons jugées immorales. Là encore l’État est interpellé.