Par Yana Bekima
Éric Marie Joseph de Le Gorgue de Rosny dit Éric de Rosny, né le 13 mai 1930 à Fontainebleau en France et mort le 2 mars 2012 à Lyon, est un prêtre jésuite qui vécut en Afrique où il s’est montré soucieux d’inculturation et s’est intéressé aux médecines traditionnelles, et même à la sorcellerie.
L’escale de Douala en 1997.
A l’époque, je rentrais de Libreville et j’étais en partance pour la Côte d’Ivoire. Ma rencontre avec Éric De Rosny à Bonamoussadi eut lieu pendant cette escale au Centre spirituel de Douala (Lieu de prière et de recueillement) où j’allais souvent lorsque mon emploi du temps me le permettait. Nous étions au début de la saison sèche, un jour, après une séance de méditation, je me précipitai vers le grand bâtiment abritant les bureaux pour saluer le Père Guy de Billy, ancien recteur du Collège Libermann. Après des échanges de civilités comme d’habitude, nous nous mîmes à parler de tout et de rien. Par la suite, comme s’il voulait satisfaire ma curiosité, il interrompit notre conversation en m’informant :
– Ton ami De Rosny est là.
– Ah bon ! m’exclamai-je
– Mais où donc ? L’interrogeai-je.
– Continue tout droit tu verras une petite case derrière le bâtiment.
J’avais lu son ouvrage « Les yeux de ma chèvre » en 1990. J’écoutais le Père Éric de Rosny à la radio, car il animait une émission quotidienne sur Radio Douala à l’époque : « La Nuit Les Yeux Ouverts ». Au cours de cette émission, il répondait aux nombreuses lettres qu’il recevait des auditeurs. Le Père Guy de Billy ne m’accompagna pas. Je longeais tout le couloir et me retrouvais à l’extérieur. Tout d’un coup, j’aperçus la case qui servait de lieu d’accueil pour ses nombreux visiteurs. Curieusement, j’étais le seul à lui rendre visite en cette fin d’après-midi-là. Il m’accueillit chaleureusement. Mais, avant que je ne puisse demander le maître de céans, il cria :
– Entrez jeune homme !
Je crois qu’il avait senti une présence, Je me courbai à cause de ma grande taille pour entrer dans sa case. Je le reconnus aussitôt. Il était assis sur une chaise, vêtu d’une chemise blanche à longues manches et son chapeau sur la tête. Je me dirigeai vers lui comme un aimant, puis il m’indiqua de la main de m’asseoir sur une chaise en rotin en face de lui. C’était la première fois que je le rencontrais physiquement. Sa cabane n’était pas bien éclairée et les murs faits de bambous étaient entourés d’un tissu blanc. La toiture était ficelée de paillotes et au-dessus de nos têtes pendait une lampe-tempête. Il ne me laissa pas le temps de m’exprimer, comme un devin, il m’informa à brûle-pourpoint que j’avais de nombreux problèmes avec ma belle-mère.
– C’est exact, lui répondis-je stupéfait.
Je renchéris par la suite par des exemples. J’étais interloqué qu’il évoqua cela avec vivacité et une liberté de ton. Cela me fit plonger momentanément dans un court silence. Il continuait de m’observer. Mais comment avait-il pu savoir que j’étais marié et tout le reste ? Ce jour-là, je ne portais même pas d’alliance de mariage prouvant que je l’étais. Il me réveilla très vite de mes pensées et continua en souriant bien sûr :
– Tu n’es pas simple hein, dit-il
Je ne fis pas d’objection et en guise de réponse, je souris juste. Cette allusion ne m’égratigna pas, mais par contre mon intuition première me conforta de sa posture. Je l’avais ressentie et l’envie de lui poser des questions tomba. Il ajouta sans me poser aucune question : – Ne t’inquiète pas, tout se passera bien, il me rassura avec un zeste d’humour. Je ne sais plus si j’avais voulu le rencontrer par simple curiosité ou parce que je vivais dans l’angoisse du lendemain et que je voulais une assurance quelconque quant à mon devenir. Toujours est-il que cette dernière déclaration me fit du bien et me donna un coup de fouet pour affronter l’avenir. Il termina notre rencontre par une prière, puis nous nous séparâmes. Aujourd’hui, lorsque j’y pense encore, je peux dire que j’ai eu l’immense chance de rencontrer cet homme « sans frontières ». C’est maintenant, avec le temps et ses écrits, que je réalise l’immensité du Père de Rosny. C’est quelqu’un qui comptera toujours dans mon parcours spirituel. C’était un homme sage et très instruit des choses des Blancs et des Noirs. J’avais trouvé chez lui une humanité profonde et attachante. Notre rencontre fut un clin d’œil que Dieu et mes ancêtres m’avaient fait. 1. Centre de l’Église catholique romaine dirigé par les pères Jésuites. P. de Rosny accueillait, dans le cadre du Centre spirituel de Douala (lieu de prière et de recueillement), des centaines de visiteurs qui venaient à lui pour être libérés de leurs souffrances et angoisses. 2.Les Yeux de ma chèvre (Plon, coll. Terre humaine, 1981).