Interview réalisée par Yana Bekima
« Une bonne façon de nous ouvrir les yeux sur un conflit oublié. »
Originaire du Cabinda et résidant en France, Virginie Mouanda Kibinde s’est distinguée en tant qu’auteure et conteuse. Elle est porteuse de par ses origines de l’histoire du Cabinda (un petit territoire de quelques centaines de milliers d’habitants entre les deux Congo, revendiqué par l’Angola et soumis à de nombreux conflits), et sa cause indépendantiste. Nous avons eu l’opportunité de la rencontrer et de discuter de ses œuvres. Découvrez ce qu’elle a à nous dire à propos.
Bonjour Madame Virginie Mouanda Kibinde. Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs qui pourraient ne pas encore vous connaître ?
Bonjour Yana Bekima. Merci de m’accorder ce temps de parole et de votre intérêt à mon travail ! Je suis congolaise par mon père et cabindaise par ma mère. C’est pour la cause du Cabinda que ma grand-mère qui m’emmenait avec elle dans la forêt où le FLEC, le Front de Libération de l’Enclave de Cabinda [contre l’Angola] s’était réfugié. Nous leur apportions des provisions pour aider les familles.
Lorsque je parcours votre biographie, je me rends compte que vous avez eu une drôle d’enfance ?
Mes parents se sont séparés, alors que je devais avoir 18 mois. Je marchais à peine. Ma mère m’avait confiée à sa maman. Ainsi j’ai grandi au village de Tchitanzi chez Mà Lunès, ma grand-mère dans mes premières années. C’est seulement plus tard que mon père m’a ramenée en ville pour me mettre à l’école. Je ne parlais, ni ne comprenais ni Français, ni Kikongo, la langue de la ville de Pointe-Noire. J’ai été éduquée entre la vie traditionnelle du village et la vie en ville.
Depuis 2004, vous écrivez et publiez des livres, vous témoignez que « 10 % du pétrole en France » vient du Cabinda. Le drame du Cabinda est-il sa manne pétrolière ? Votre roman Soleil noir du Cabinda en témoigne ?
Mon désir d’écrire est parti de là. J’avais un grand besoin d’informer les gens sur le drame du Cabinda. A Tchitanzi, j’avais vécu avec des gens qui fuyaient la guerre. Il y avait beaucoup d’orphelins et de veuves, des gens qui vivaient dans la misère totale. Personne ne leur avait expliqué pourquoi, ils avaient été chassés de leurs villages, pourquoi ils étaient contraints à l’errance entre la vie de maquisards dans la forêt et les camps de réfugiés… Donc dans mon livre « Au soleil noir du Cabinda », j’ai voulu mettre la lumière sur ces damnés des richesses du sol du Cabinda.
Pourriez-vous nous indiquer quelques repères qui paraissent indispensables à qui n’est ni Cabindais, ni Angolais, ni Congolais ?
Je suis pour une Afrique unie et forte. Mais malheureusement c’est en Afrique même que l’on recrute les bourreaux, pour assujettir les Africains. Au moment de la révolution des Œillets au Portugal en 1974, à la libération des colonies portugaises, l’Angola avait dû signer les accords d’Alvor avec les colons portugais pour envahir et annexer militairement le Cabinda. Ceci par l’entremise d’un des plus humanistes panafricains Augustino Néto. Pendant des décennies les Angolais ont couvert les intérêts des multinationales des USA et de l’Europe au prix du sang des Cabindais. J’en parle dans mon livre « Mémoire d’une colline ». Les victimes de cette guerre ne savaient nullement l’existence même de ce pétrole tant convoité. Comme avait écrit François-Xavier Verschave, « le Cabinda était précurseur dans les guerres pour les richesses naturelles aux dépends de son peuple. »
Que signifie pour vous la couleur jaune sur les drapeaux congolais ?
C’est anecdotique, les drapeaux de la République du Congo et de la République Démocratique du Congo ont une couleur en commun, le jaune, qui symbolise les richesses naturelles. Vous avez créé votre propre maison d’édition Wa’wa en 2016, située dans les Yvelines, vous n’avez pas pour autant oublié votre précédente vie. Virginie Mouanda Kibinde : En effet, ma maison d’édition Wa’wa… C’est un peu dans la continuité de mon engagement en littérature. Wa’wa veut dire « écoute, écoute » en Lari, une langue Kongo. C’est le besoin d’informer qui m’anime toujours.
Pourriez-vous nous en parler succinctement de votre dernier roman, « Gieskes, une famille de métis néerlandais » ?
Virginie Mouanda Kibinde : La famille Gieskes. L’histoire commence par le voyage de Jan Hendrik, un jeune néerlandais arrivé au Cabinda pour le compte de la Compagnie des Indes. D’abord seul puis avec ses fils, ils font le commerce du café, de l’huile, issus de leurs plantations. La mésentente avec les colons portugais (« Il était comme un cheveu sur la soupe pour le système colonial portugais ») oblige le père à s’installer un peu plus loin (dans la forêt du Mayombe) plutôt que de « se soumettre au colonialisme portugais ». Les années passent durant lesquelles la famille fait travailler « des paysans, des gens des villages alentours ».
Les choses changent avec l’accès de l’ancien Congo belge (actuelle RDC) à l’indépendance en 1960 « dans la confusion et la violence ». Qui dit « guerre aux étrangers », dit pillage du patrimoine de la famille Gieskes. Le régime de Mobutu, l’homme fort du nouveau régime, applique la « zaïrianisation » de l’économie, il retient en effet le nom que les indigènes donnaient au fleuve Nzaï. « Un dictateur qui avait décidé de bouter hors de son territoire tous les Occidentaux […] » au profit de l’africanité. Ce qui partait d’un bon sentiment de justice pour les Congolais, a fini dans le désastre économique dû à la corruption chaotique, sans avoir un réel projet de société. L’histoire de la famille Gieskes nous fait traverser les bouleversements politiques et sociaux au Congo et au Cabinda.
Dans votre roman « Gieskes, une famille de métis néerlandais », nous notons que la présence néerlandaise en Afrique — via la Compagnie des Indes hollandaises — a été singulièrement différente de celle des Belges, des Français ou des Portugais.
Je pense que les Néerlandais avaient une autre approche des relations entre les peuples. Dans leur conquête du nouveau monde, il était plus question de commerce, d’échanges et de rapports économiques, et non pas la domination, le racisme et les abominations qui se pratiquaient au Congo. Les Hollandais ne se conduisaient pas en maîtres racistes comme la majorité des Portugais, Français ou même Britanniques. En Afrique les Hollandais avaient une autre attitude face aux peuples autochtones. Avec leurs comptoirs, ils permettaient la mise sur le marché les productions africaines avec les Africains comme partenaires, pas comme bêtes de somme ou des esclaves.
Votre roman a la dent dure contre ces derniers qualifiés de « brutes » et de « prédateurs ». Il est plus tendre avec les Hollandais.
C’est juste parce que, à part ce qui s’était passé en Afrique du Sud, les Néerlandais n’ont pas commis les crimes au Congo comme les autres coloniaux. Ce n’était pas du tout la même mentalité. L’Afrique a trop souffert et ça continue avec le néocolonialisme récurrent.
C’est d’ailleurs l’itinéraire d’un jeune Hollandais, Jan Hendrik Gieskes, que vous avez choisi de suivre après que vous ayez rencontré la famille.
En effet, j’ai fait la connaissance de Vovo Kanzi alors âgée de 106 ans. Vovo Kanzi avait une longue histoire à me raconter. Elle était la veuve de Jan Hendrick Gieskes, qui s’était rendu au Congo en 1920. Tout juste diplômé en comptabilité aux Pays-Bas, celui-ci rejoint la flotte néerlandaise. Trois mois plus tard, il aborde les côtes africaines, découvre partout les comptoirs de la Compagnie des Indes, du Golfe de Guinée au Congo. Que s’est-il passé dans sa tête ? « Il voulait quitter cette Europe de misère » au sortir de la Première Guerre mondiale. Jan Hendrik arrive dans l’ancien Congo belge puis au Cabinda.
Votre roman suscite un vif intérêt, car il aborde la question brûlante de la colonisation et de l’indépendance qui occupe toujours une place centrale dans l’actualité
En effet, la grande Histoire avec ses soubresauts – colonisation / indépendance – néocolonialisme. Les Africains souffrent à cause de la richesse de notre sous-sol, du racisme et du népotisme systémique de nos dirigeants archaïques qui trônent toujours à la tête de nos pays.
Félicitations pour votre œuvre, votre roman est attachant, ambitieux, généreux.
Merci, mais pour bien la comprendre, on peut recouper les chapitres, ce qui ne dispense pas de rouvrir son livre d’histoire ou de géographie. Au moins peut-on le faire en suivant le fil d’une histoire familiale, ce qui donne du sel à la recherche.
Votre roman montre votre intimité avec la famille Gieskes dont vous racontez l’histoire.
Mes racines (cabindaise et congolaise) et ma double culture (africaine et européenne) m’ont permis d’être un chaînon dans la transmission, tout à la fois de cette épopée familiale et de l’histoire contemporaine.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le drame que vit la République du Congo Démocratique ? Au fil du temps, est-ce que la situation a un tout petit peu changé ?
Ce qui change, c’est le fait que le peuple congolais se sente concerné par son histoire. Il y a une évolution dans les mentalités et aussi grâce aux réseaux sociaux, l’information est accessible à tous et les gens s’indignent et communiquent facilement. La révolution se fait sur un temps plus long, mais je suis persuadée que le peuple arrivera à se débarrasser des politiques perfides et corrompus qui ne comprennent pas le changement de paradigme politique.
Vous avez exploré différents thèmes et genres littéraires dans vos ouvrages. Quelles sont généralement vos sources d’inspiration ?
C’est d’abord l’Afrique, et c’est tellement immense. Mais aussi autour de moi, les échanges avec les amis, la famille.
Je vous ai rencontrée au dernier Salon du livre à Genève. Certainement c’était une occasion pour rencontrer vos différents lecteurs. Quels sont vos prochains événements prévus ?
J’ai participé à un petit salon d’auteurs en Normandie. Peut-être que je vais faire le marché africain de Chartres. Sinon, au mois de juin, il y aura à Pointe-Noire au Congo, le festival conte et oralité ou « Retour au Mbongui », j’y serai.
C’est quoi le livre que vous n’avez pas encore écrit ?
C’est je pense le livre sur mon parcours personnel. Il n’est pas toujours facile de parler de soi, mais il va falloir que je m’y mette.
Merci infiniment Virginie Mouanda Kibinde d’avoir été avec nous pendant ce moment.
C’est à moi de vous remercier de m’avoir reçu sur www.afriksurseine.com.