Entretien mené par Basile Netour
et Abdourahman Bindowo
Artiste-musicien à Garoua
ISNEBO fait partie des créateurs du groupe des Faadah Kawtal, sa richesse artistique est inestimable. Il a parcouru le monde entier pour promouvoir l’écho musical enchanteur des musiques sahéliens ; il a reçu des prix dans de nombreux pays du sahel. Les Faadah Kawtal ont séduit l’Afrique à leur époque, aujourd’hui dans le silence, Afriksurseine est allé à la rencontre de l’un des pionniers pour retracer avec lui les grands moments de leur succès.
Bonjour Isnebo, pouvez-vous vous présenter et surtout nous parler de votre carrière musical ?
Merci pour l’honneur que vous me faites et heureux de connaitre AFRIKSURSEINE, un média qui fait la promotion des artistes entre autre. Ceci dit, je suis ISNEBO, mon nom d’artiste, est Haman Tizi Aharanka Daniel dans l’état civil : Je suis natif de Biou, une bourgade située à l’Est de Guider dans le Mayo Louti Région du Nord-Cameroun.
Quel a été votre parcours scolaire avant d’arriver à la musique ?
Oui, j’ai fait mon cycle primaire à l’école Saint Pierre du Relais Saint Hubert de Garoua et le cycle secondaire à l’extrême-Nord, où j’arrête mes études pour embrasser la musique et, musicalement parlant, j’ai appartenu à plusieurs groupes : new dimension orchestra et le Roka Fiesta en 1989 et puis le Faadah Kawtal dont je suis l’un des cofondateurs ; c’était une belle aventure avec quelques copains et du coup, certaines opportunités nous ont été offertes, nous avons réalisé de grandes œuvres qui nous ont fait entrer dans des grands milieux de la musique, avec comme tremplin la musique d’un film auquel j’ai été impliqué comme comédien et artiste-musicien car la chanson du film est de moi, film intitulé « Le maître des éléphants » du réalisateur français Patrick Grandperret, œuvre qui, dans le monde du show-biz, nous fait rentrer par la grande porte et qui nous conduit dans plusieurs pays occidentaux parmi lesquels New- York, à travers un grand évènement. Big silence betting the drums , c’était aux Nation unies.
Il y a le Womex (worwide music expo) à Berlin, le festival de Munich et à l’Unesco sans oublier Paris au théâtre Mogador. On a eu des rendez-vous dans plusieurs autres villes en France, nous étions également au Danemark dans le cadre d’un festival, plusieurs fois à Abidjan, trois fois au festival de musique d’Angoulême. En Afrique il y a eu le MASA, la tournée dans les centres culturels français au Gabon, Malabo, Bata et un peu partout. Voilà un peu le parcours.
Quels sont les rencontres qui vous ont marqué au cours de cette carrière ?
J’avoue que j’ai rencontré des gens comme Esaïe Zozabe, un grand frère très disponible et facile d’accès ; qui que vous soyez et pour l’amour de la musique, il vous ouvrait ses portes et vous donnait avec plaisir toutes les opportunités, toutes les chances. Ibro yero a été très actif dans la réalisation des spectacles me donnant l’opportunité de parcourir notre Nord. Ali Baba, Sanda Oumarou, les grandes vedettes de la région comme Koula Kayefy, Abdou Benito nous ont donné l’opportunité de nous enrichir en termes d’expérience.
Va-t-on conclure que c’est une grande chance dans votre carrière, tous ces rencontres ?
Tout à fait, une grosse chance.
Comment nait le groupe Faadah Kawtal ?
Au terme d’une façon de fonctionner, nous nous sommes dit : « Nous sommes des griots et il faut que nous existions, que nous ne soyons plus à la traine des autres bref, qu’on crée un label à nous » et, c’est ainsi que, pour parfaire et asseoir notre identité, notre image, nous avons décidé de sortir de notre Nord natal pour aller dans les grandes métropoles comme Douala, Yaoundé ou alors au Nigeria, un pays assez prospère et où les possibilités sont légion. C’est dans cette foulée qu’arrive un grand nom de la musique camerounaise nommé Tom Yom’s venu en spectacle à Garoua. Nous nous rapprochons de lui pour lui manifester notre ambition afin qu’il nous aide aussi à entrer dans le grand monde des artistes. Après avoir écouté quelques-uns de nos titres, il nous invite tout de suite à le suivre à Douala et, tout ceci, sans conditions.
C’est lui qui nous héberge une fois arrivés à douala et entamons l’enregistrement d’un album malheureusement, comme le travail n’était pas à temps plein, il devait toujours voyager et, pour qu’on ne s’ennuie pas entre temps, il a pris soin de nous brancher dans les milieux du show-biz local, des cabarets où nous devions nous perfectionner en attendant qu’il rentre de ses tournées.
Nous avons rencontré plein de gens mais, la plus retentissante de ces rencontres reste celle d’avec Patrick Grand Perec alors en repérage au Cameroun pour un film et qui est tombé sous notre charme dans le cabaret ou nous jouions, Le Fako club de Bali à Douala. Ses pourparlers avec les grands noms de la musique comme Youssou Ndour et Ismael lô pour la réalisation de la bande d’annonce de son film étant déjà très avancés, il a tout de suite changé d’idées pour nous impliquer dans le projet afin que nous fassions le job. Après m’avoir fait lire le scénario, un double rôle m’est attribué : faire le générique et aussi jouer comme comédien dans le film. Ce qui m’emmènera sur le site du tournage au Botwana et ensuite au Zimbabwe avant de nous retrouver en France.
Et les Faadah Kawtal dans tout ça ?
Les Faadah Kawtal existaient déjà comme je vous l’ai dit et c’est sous ce label que nous sommes allés travailler à Douala avec Tom Yom’s. Il y avait donc ce double projet : Réaliser la bande originale du film de Patrick Grand Perec et en même temps réaliser notre album Kawtal. C’est après tout cela que nous avons pu rentrer dans le show-biz avec des musiciens chevronnés. Beaucoup de mes titres ont attiré l’attention du public, Derkedjo, Kilanta…
Icône de la musique septentrionale camerounaise et même africaine, vous êtes également membre de la SONACAM. Pouvez-vous nous éclairer sur cette corporation des artistes camerounais ?
La Sonacam est une société de gestion collective de droits d’auteurs dont je suis membre comme bon d’autres artistes professionnels. Qu’on le veuille ou non, on fonctionne avec ce qui existe et avec l’onction de l’Etat. C’est la seule que nous avons sous la main en ce moment et qui gère nos droits. Antérieurement, j’y étais membre du conseil d’administration mais aujourd’hui, je suis simple membre de cette société qui gère nos droits.
Quels sont vos rapports avec la jeune génération des frères artistes avez-vous un projets pour ces jeunes ?
Le monde de la musique est vaste et l’est davantage devenu avec l’avènement des nouvelles technologies. En ma qualité d’ancien, je reste ouvert comme l’ont été mes prédécesseurs et grands frères. Avec le temps, les choses ont vraiment changé comme je vous l’ai dit plus haut car hier, ceux qui avaient réussi produisaient les nouveaux mais, aujourd’hui, les entrées dans ce domaine sont devenues difficiles : Les œuvres physiques ne se vendent plus, situation qui nous a réduit aux activités comme les concerts ou autres spectacles vivants qui permettent d’exister et de gagner un peu. A mon niveau, je suis en train de mettre à disposition des jeunes artistes que je juge talentueux comme Julie Benito, mes œuvres ou titres pour qu’ils puissent les reprendre. Je travaille avec Julie Benito sur un morceau qui, à coup sûr, va lui ouvrir beaucoup de chemins. J’ai travaillé aussi avec Alkawal Kessal, j’essaie de faire profiter de ma présence aux jeunes artistes
Quels messages à l’ endroit de ces jeunes artistes camerounais en général et du septentrion en particulier ?
La musique est un domaine compétitif au même titre que la boxe ou seul le travail paie et nous permet de nous hisser au sommet. Il existe une tendance ici au Nord-Cameroun qui laisse croire que la musique est une histoire de communauté et qu’on a besoin de parler d’équilibre –régional- dans ce domaine-là aussi. Non, la musique c’est comme la boxe, seule la compétence et le talent nous permettent de nous hisser au somment. Encore, faut-il le rappeler, ce n’est point une affaire clanique, la musique.
ISNEBO est-il un artiste comblé ? A-t-il déjà préparé sa sortie ou mieux sa retraite ?
On ne parle pas de retraite dans le monde du port comme dans le milieu musical où, même à 80 ans, on peut toujours chanter ; tant qu’on reste attractif et productif, le travail continue ; ici également, on ne s’ennuie pas car nous avons des ressources et lorsqu’on est en bonne santé, on peut continuer notre œuvre. Mais comme dans tout domaine d’activité il faut bien se gérer en investissant pour ne pas sombrer dans l’assistanat ; j’ai, pour ma part et en ma qualité d’artiste musicien, investi dans l’agriculture et l’élevage.
Oui, il faut être un modèle social car ça permet de polir l’image surtout quand on est une élite et, depuis que j’ai obtenu ma médaille de chevalier de l’ordre et de la valeur, j’ai compris que l’Etat promeut autant la culture que d’autres corps de métier.
Votre mot de fin ? Quel héritage pour la postérité ?
Il faut réaliser des œuvres pérennes qui vont inspirer d’autres. Il faut apporter sa contribution au patrimoine pour que notre pays avance et s’impose parmi les autres Nations. Il faut qu’on soit des vrais ambassadeurs de notre pays partout dans le monde en combattant les fléaux sociaux afin d’encenser les qualités humaines. En bref, nous devons conscientiser et moraliser pour éviter toute dérive. Merci de m’avoir permis de m’exprimer ici.
Bonne année 2024 et longue vie à AFRIKSURSEINE !