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DE PRINCE AIME A DEBORDO : LA METAMORPHOSE D’UNE CHANSON VIEILLE DE 20 ANS

Depuis quelques jours, la toile s’enflamme autour de la chanson à succès « Viviane » de l’artiste camerounais Prince Aimé, reprise avec éclat par l’Ivoirien Debordo Leekunfa. Ce morceau, désormais plébiscité par des centaines de milliers de Tiktokeurs, occupe la première place des classements, tout en provoquant des débats passionnés. À mon sens, l’interprétation de Debordo n’est rien d’autre qu’une réinvention magistrale d’une chanson qu’il a su apprécier à sa juste valeur. En y apposant son empreinte, il lui a conféré une dimension nouvelle, inexplorée jusque-là, en raison d’arrangements originaux qui manquaient d’audace. Ce geste artistique est à saluer, car il a permis à ce morceau vieux de vingt ans de renaître et de connaître une popularité inattendue. Pour moi, Debordo se distingue aujourd’hui comme l’un des plus grands artistes africains de l’année.

L’art, comme la vie, doit nous émouvoir, nous pousser à réfléchir et à voyager au-delà du visible. Chaque œuvre d’art doit transcender les frontières du corps et ouvrir de nouveaux horizons à notre imagination. Les artistes et leurs créations sont destinés à voyager, et ce voyage constitue une partie intégrante de l’histoire de tout artiste. Pour les artistes camerounais des années 1980, se rendre en Côte d’Ivoire était un passage presque obligé, une sorte de pèlerinage artistique pour tester leur musique et asseoir leur notoriété avant de tenter l’aventure occidentale. Une fois sur place, ils étaient souvent conquis par la scène ivoirienne, à tel point que beaucoup y sont restés longtemps, s’imprégnant du style local. C’est ainsi que des artistes comme Ben Decca, Moni Bilé, Sam Fan Thomas, Bebey Manga, ou Petit Pays ont fait des tours à  Abidjan.

C’est cela qui témoigne la fraternité artistique entre la Cote d’Ivoire et le Cameroun. Le lien artistique entre le Cameroun et la Côte d’Ivoire ne date pas d’aujourd’hui. Ce mariage culturel est une symbiose unique en Afrique, faite de rivalité, de disputes, mais surtout d’un amour réciproque. Si les querelles sont parfois vives, souvent motivées par des considérations politiques ou footballistiques, la musique, elle, reste un terrain d’apaisement, une fenêtre ouverte sur des mondes intimes et sublimes. L’art, et en particulier la musique, doit sans cesse être encouragé à évoluer, à se réinventer. Chez les Ivoiriens, l’imaginaire artistique est si fécond qu’il génère constamment des créations nouvelles, mais souvent à partir des rythmes des camerounais.

C’est pourquoi Debordo Leekunfa, avec son talent et sa méthode, a su redonner vie à la chanson de Prince Aimé, l’élevant à une nouvelle dimension grâce à une harmonie maîtrisée. Debordo, véritable prodige, a apporté à cette œuvre l’aura musicale qui lui manquait. Là où Prince Aimé s’impose comme le créateur initial, Debordo joue le rôle de maître, conférant à la chanson une portée inédite, et atteignant, en quelques jours à peine, des millions de vues sur TikTok.

Ces querelles autour de cette réinterprétation témoignent de l’impact que peut avoir une œuvre d’art : une invitation à l’évasion, une respiration nouvelle, un pont vers des émotions inédites et des horizons plus vastes. Il est fascinant de voir qu’une chanson sortie en 2004 atteint sa pleine maturité vingt ans plus tard grâce au talent d’un autre artiste. C’est là l’essence même de la musique : un voyage à travers le temps et l’espace. Si les Camerounais excellent dans la création, les Ivoiriens, eux, brillent dans l’art de l’arrangement, ces derniers apportent  une touche supplémentaire qui rend leurs œuvres fulgurantes.

Prince Aimé, quant à lui, fut un véritable prodige de la scène musicale camerounaise. En 2004, il avait conquis son public malgré les défis imposés par son handicap. C’est son départ pour l’Occident qui a ralenti sa carrière, faute de soutien adéquat. Le remix de Debordo pourrait bien représenter pour lui une opportunité inespérée, une seconde chance de relancer sa carrière. Il serait sage pour lui d’accepter une collaboration, plutôt que de suivre les conseils intéressés de certains collègues, qui profitent de la situation pour alimenter des querelles stériles. En somme, Debordo est un génie, et Prince Aimé n’en est pas moins un talentueux créateur. Leur rencontre artistique pourrait marquer le début d’une collaboration fructueuse et durable. Il est essentiel de respecter les œuvres d’art, de les encourager dans leur évolution, car elles sont le reflet de deux cultures fortes et complémentaires.

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