Mag-Afriksurseine-Mars-2024

AIJO MAMADOU, UNE MALADIE MYSTERIEUSE.

Il y a peu de jours encore, le Cameroun perdait l’un de ses fils les plus talentueux, Aidjo Mamadou, un artiste dont la voix résonne encore dans nos esprits et dans nos cœurs. Père de la célèbre chanson « Levez le doigt, ceux qui n’ont jamais trompé leur femme », il avait su, par son art, éclairer les lanternes des couples, et avec une touche d’humour, attirer l’attention sur les réalités conjugales, apportant réconfort à ceux qui pouvaient être tentés de condamner leurs conjointes sans savoir qu’eux-mêmes sont souvent infidèles.

Aidjo est mort de poison, il n’y a pas de doute là-dessus. L’homme  a enduré des souffrances indicibles. Son ventre  ne cessait de s’alourdir l’empêchant de trouver le repos, nuit après nuit. Tantôt, il ressentait des griffures invisibles, tantôt des pincements semblables à ceux d’un ténia vorace, parfois une brûlure sourde qui le consumait de l’intérieur. Chaque matin, son ventre semblait gonfler davantage, émettant des gargouillements inquiétants, comme si la douleur cherchait à s’exprimer à travers lui. Cet homme humble a souffert, son corps  trahi par une affliction inexplicable. Le comité qu’il avait lui-même constitué autour de lui  a tout essayé pour le sauver ; il a absorbé d’innombrables potions, mais rien n’apaisait ses maux. Le poison qui le dévorait était insidieux, agissant lentement, et peut-être l’avait-il ingéré des années auparavant sans même s’en rendre compte.

Aidjo n’était pas seulement un chanteur, il était le symbole vivant du Bikutsi moderne, un rythme qu’il maîtrisait avec une aisance inégalée et qui, depuis quelques années, a connu une véritable renaissance grâce à des figures telles que Lady Ponce. Ses chansons et ses photos circulent encore largement sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, ses proches, ses amis et tous les artistes qui ont partagé sa route se disent orphelins. Ils pleurent un chanteur dont la voix, envoûtante et authentique, marquait les esprits. Son physique imposant, hérité de ses années en tant que boxeur, contrastait avec la douceur de son timbre, et ensemble, ces deux facettes faisaient de lui une véritable légende des cabarets camerounais. Aidjo, c’était la force tranquille, une présence rassurante sur scène, et une simplicité sans pareille en dehors.

Mais les dernières images de lui, partagées sur les réseaux sociaux, montraient un homme affaibli, luttant contre une maladie mystérieuse. L’artiste, autrefois plein de vie, était devenu méconnaissable, son ventre ballonné ressemblait à celui d’une femme enceinte de neuf mois, et son regard était fatigué. Les rumeurs allaient bon train, évoquant la présence d’un corps étranger qu’aucun traitement ne parvenait à retirer. En proie à la souffrance, Aidjo avait cherché le secours des médecines traditionnelles, mais en vain.

Quelques jours avant sa mort, on a vu un homme l’asperger d’eau à l’aide d’une feuille traditionnelle, un geste qui semblait davantage une publicité pour le charlatan qu’un véritable acte de guérison. Peu de temps après il était interné au CHU où il s’est éteint. C’est une réalité cruelle que nous devons affronter aujourd’hui : au Cameroun, les artistes sont souvent seuls face à la maladie ce ne fut pas le cas de Mamadou. Les amitiés sincères sont rares aussi  dans ce milieu où chacun trace sa propre route. Le monde artistique est un univers rude, où l’hypocrisie et l’isolement règnent en maîtres. Chaque artiste marche sur une corde raide, en équilibre fragile entre gloire et précarité, et Aidjo n’a pas échappé à cette dure réalité, puisqu’il fallait mobiliser le monde pour lui venir en aide.  L’art donne un sens à notre vie.

Il explore l’existence humaine, il l’exprime dans sa complexité. L’artiste, par sa voix, sa peinture ou sa danse, est un travailleur de l’âme, et son œuvre est le reflet de ce qu’il est profondément. La société doit veiller sur ces créateurs, car ils sont les gardiens de notre mémoire collective. Mais hélas, dans nos pays, nous oublions trop souvent de les protéger. Ahidjo Mamadou, comme tant d’autres artistes camerounais, a traversé des épreuves que son talent seul ne pouvait surmonter. Il a connu les hauts et les bas d’une carrière artistique marquée par le succès, mais aussi par l’incertitude.

Il a été cet homme qui, après avoir gravi les sommets, a parfois sombré dans l’oubli, avant de se relever, encore et encore. Mais cette fois-ci, la maladie l’a emporté, laissant derrière lui un vide immense. La musique, l’art tout court, sont des expressions sublimes de la condition humaine. André Gide disait que « l’art commence là où vivre ne suffit plus à exprimer la vie ». Et c’est cela, au fond, qu’Aidjo nous a laissé : une vie exprimée à travers son art, un témoignage vivant de ce que signifie être humain. L’art, tel que l’évoquait Malraux, est un anti-destin, une manière de résister à la fatalité. Mais parfois, même l’art ne peut repousser la mort.

Les artistes, nos artistes, ne doivent pas être laissés à l’abandon. Ils ont besoin d’être soutenus, protégés, car leur talent est un trésor pour notre société. Sans eux, la culture, l’âme même de notre nation, s’appauvrit. Aujourd’hui, nous pleurons un artiste, mais nous célébrons aussi son héritage. Aidjo Mamadou, par sa voix, par sa musique, restera à jamais dans nos cœurs. Sa douceur, sa sobriété sur scène, son talent et sa chaleur humaine faisaient de lui un homme unique, un homme dont la destinée semblait encore pleine de promesses. Mais le destin, cruel et implacable, en a décidé autrement, nous le prenant bien trop tôt. Adieu l’artiste, repose en paix. Que ton âme trouve enfin la sérénité que tu méritais, loin des douleurs terrestres. Tu ne seras jamais oublié. Tu es parti, mais ta musique vivra. Que ton âme repose en paix.

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