Madame Keutcha Courtes était maire de Bangangté, cela est connu. Ensuite, elle a été saluée pour la performance de sa ville, qui est devenue la plus propre du Cameroun en un temps record. Cette réussite l’a également propulsée au poste de ministre de l’urbanisme et de l’habitat, là encore, il n’y a rien à dire. Jusqu’à cette étape de sa carrière, personne ne lui reprochait quoi que ce soit. Tout a changé quand elle a pris la parole en public il y a un mois, lors d’une visite dans le septentrion. La ministre bien-aimée a prononcé une tirade qui ressemblait à un cri, marquée par son orgueil et sa fermeté. Se prononçant sur une question de route, madame le ministre a dit à ceux qui étaient humblement venir l’accueillir : « Qu’y avait-il avant ? ».
Le premier constat dans ce discours est le sentiment de mépris par lequel elle juge la communauté qui se tient devant elle, d’une conduite moralement condamnable, indigne d’estime et d’attention : elle a une position narcissique sur elle-même et un manque d’empathie pour les autres, les sous-estimant en leur rappelant leur infériorité. Puis elle ajoute, avec les doigts mêlés de reproche, un avertissement dans lequel on remarque un regard nocif et inquiétant, un vif sentiment d’émotion intense et négatif, mélange de dégoût et de colère, à l’égard de ceux qu’elle fixe durement « faites attention » ; dans ce contexte, ses mots expriment à l’égard de ceux à qui elle s’adresse de se reconnaître comme inférieurs ou sans intérêt. Une attitude sarcastique.
Autrement dit, par ces mots, la ministre rappelle aux personnes en face en des termes amers, pour leur dire qu’ils ne sont pas reconnaissants et qu’ils se plaignent de tout, qu’ils ne regrettent pas leur passé médiocre, qu’ils critiquent tout, qu’ils ne voient jamais le bon côté des choses, qu’ils n’aiment rien, qu’ils se méfient de tout le monde, qu’ils dénigrent tout. La communauté, calme et attentive, ne comprend pas et encaisse simplement des propos déshonorants à leur égard ; ils se sentent disgraciés, voire détestés. Le mot serait passé inaperçu si Richard Bona n’avait pas composé, le lendemain, une chanson qui fait fureur sur RFI depuis quelques jours. J’étais surpris ce matin en écoutant la chanson sur cette chaîne, qui passait en boucle, alors que je discutais avec un Européen sur l’Afrique, il m’a repris en me demandant ce qu’il y avait avant chez nous. Tout est dit.
Quand la trame commence à se lézarder, ce n’est plus même la même histoire. Le Français fait sûrement allusion à autre chose : « Vous, les Africains, il y avait quoi avant ? Vous passez votre temps à vous plaindre. » Dans la réalité, rien de grave, mais il faut savoir s’adresser à ses compatriotes quand on a de lourdes responsabilités. S’adresser à une population déjà tétanisée par la pauvreté et l’analphabétisme, leur rappeler qu’il y avait quoi, revient tout simplement à dire « Taisez-vous, vous méritez votre sort. » Et quand on vous fait une petite faveur, vous en demandez plus : « Vous l’aviez avant ? » Nous entrons tout droit dans la division d’une société culturellement sans histoire.
Oui, il ressort de ces mots un problème culturel cher à notre pays : certaines cultures se croient supérieures à d’autres, certains doivent réclamer, d’autres pas, et on ne doit pas déranger le travail d’un ministre avec des vaines réclamations. « Il y avait quoi avant chez vous avant notre arrivée en Afrique ? » disent les Blancs. La phrase est vulgaire, les vidéos sont montées avec des clips humoristiques. Et il ne reste qu’à dire un seul mot : continuez. On ne s’adresse pas à des compatriotes désemparés en les humiliant, c’est une attaque directe contre leur estime de soi. On ne pourra jamais nous faire croire que c’était du sarcasme pour de l’humour. Nous en étions loin de là. Le vrai humour, c’est ce qui a commencé, avec les chansons et les vidéos qui fusent. Et nous aujourd’hui, qui sommes en Occident, nous étions quoi avant ? Dira-t-on. Et celui qui a composé cette chanson, je parle de Richard Bona, qu’était-il avant d’aller aux Etats-Unis ?