Par Baltazar Atangana
S’engager dans l’humanitaire est un sacerdoce et cela comporte également beaucoup de risques dans un monde de plus marqué par les violences généralisées. Pour un partage d’expérience, Baltazar Atangana s’est entretenu avec Pierre VELUT, représentant résident en Côte d’Ivoire, au Niger et au Burkina-Faso de la fondation Raoul Follereau. Comment a démarré et s’est noué votre engagement pour l’humanitaire?
Mon engagement humanitaire a commencé à prendre forme à la fin de mes études supérieures en droit et gestion de la Santé, lorsque j’ai choisi de me spécialiser dans les aspects internationaux de la santé. Cette décision a marqué le début de mon voyage vers l’humanitaire et c’est à l’âge de 25 ans que je quittais mon pays natal. Mon désir de m’impliquer dans des causes humanitaires a également été influencé par mon enfance. En grandissant, j’ai eu la chance de beaucoup voyager en suivant mon père au fil de ses affectations, ce qui m’a permis de découvrir diverses cultures et de développer une ouverture d’esprit. Ces expériences m’ont profondément marqué et mon souhait était de mettre mes compétences et ma passion au service d’une cause qui en avait besoin. C’est précisément cet état d’esprit que j’ai retrouvé à la Fondation Raoul Follereau pour laquelle je travaille depuis six ans en tant que représentant pays. À la fondation Raoul Follereau, vous êtes représentant résident en Côte d’Ivoire, au Niger et au Burkina-Faso.
Pouvez-vous nous faire l’économie de vos activités au sein des projets que la fondation mène dans ces pays ?
En tant que représentant de la Fondation Raoul Follereau en Côte d’Ivoire, au Niger et au Burkina Faso, mes activités sont principalement axées sur la mise en œuvre des projets visant à lutter contre les Maladies Tropicales Négligées (MTN), en particulier la lèpre, l’ulcère de Buruli, le pian, et d’autres maladies dermatologiques. La Fondation a pour mission de poursuivre l’œuvre de son fondateur, Raoul Follereau, connu pour son combat principal, la lutte contre la lèpre ; Ce qui distingue notre approche à la Fondation Raoul Follereau, c’est notre engagement à accompagner nos partenaires (Ministères de la Santé et partenaires privés) sur le long terme, sans nous substituer à eux. Dans le cadre de notre action, nous menons des projets dans plusieurs pays, en France, en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, avec un total de 270 projets répartis dans 25 pays. Pour lutter contre la lèpre, nous mettons en œuvre des stratégies transversales qui comprennent : Le dépistage actif : Nous nous rendons directement auprès de la population pour dépister toutes les maladies de peau, y compris la lèpre. Cela nous permet d’identifier rapidement les cas et d’initier un traitement précoce.
La promotion de l’auto-soin des malades : Nous sensibilisons les patients sur l’importance de l’hygiène et du soin des plaies. Dans certains cas, certaines plaies peuvent guérir uniquement avec des soins simples, tels que l’utilisation d’eau et de savon. La mise en place d’infrastructures Eau, Hygiène et Assainissement : Nous travaillons à améliorer les conditions de vie dans les villages touchés par les Maladies Tropicales Négligées en mettant en place des infrastructures d’eau, d’hygiène et d’assainissement. Le développement de la recherche : nous investissons dans la recherche pour améliorer le traitement des réactions liées à la lèpre et réduire la durée du traitement de l’ulcère de Buruli, passant de 8 à 4 semaines. La prise en charge inclusive du handicap : Nous nous engageons à soutenir les personnes atteintes de lèpre et d’autres MTN en fournissant des soins médicaux, mais aussi en favorisant leur réinsertion sociale et économique. Nous adaptons ces stratégies en fonction du contexte sécuritaire de chaque pays où nous intervenons. Par exemple, en Côte d’Ivoire, nous avons mis en place une stratégie ambitieuse avec le Ministère de la Santé et de l’hygiène publique visant à zéro lèpre d’ici 2030. Cette stratégie consiste à cibler les 10 districts les plus endémiques du pays, à dépister l’ensemble de la population des villages touchés par la lèpre dans ces districts, et à distribuer un traitement préventif à l’entourage des personnes dépistées. L’objectif est de briser la chaîne de transmission de la maladie et de parvenir à un pays sans lèpre d’ici 2030.
Au regard de vos expériences sur le terrain ainsi que de vos observations, quels sont les obstacles qui se dressent aujourd’hui sur le chemin de la lutte contre l’exclusion causée soit par la maladie, la pauvreté et l’ignorance dans les pays où la fondation Raoul Follereau intervient ?
La lutte contre les Maladies Tropicales Négligées comme la Lèpre demeure un défi complexe et interconnecté dans les pays où la Fondation Raoul Follereau mène ses actions humanitaires. Plusieurs obstacles sont sur notre route et ils sont souvent liés de manière intrinsèque. L’accès limité aux soins de santé est un obstacle fondamental, notamment dans les zones reculées où les infrastructures médicales sont insuffisantes. Cette limitation de l’accès aux soins de santé rend le dépistage précoce et la prise en charge des maladies, y compris la lèpre, particulièrement difficiles. Un facteur essentiel contribuant à ces obstacles est le manque de sensibilisation. L’ignorance prévaut souvent parmi les communautés, qui ne sont pas suffisamment informées des symptômes des maladies, des moyens de prévention et des traitements disponibles. Cette méconnaissance alimente la stigmatisation et la discrimination envers les personnes atteintes de maladies telles que la lèpre. Pour combattre efficacement ces maladies, il est nécessaire de disposer de personnel de santé formé. Le manque de professionnels de la santé qualifiés constitue un autre défi majeur.
Dans notre champ d’action la dermatologie, le manque est criant. La nature chronique de certaines maladies, comme la lèpre, ajoute une dimension complexe à la lutte. Cette maladie évolue sur le long terme, ce qui la rend plus difficile à détecter en comparaison avec des maladies à développement rapide. Les symptômes de la lèpre, tels que l’insensibilité des parties du corps, conduisent à des blessures et des infections qui peuvent devenir irréversibles si le patient n’est pas dépisté à temps. De plus, les facteurs socio-économiques, notamment la pauvreté et les conditions de vie précaires, sont intrinsèquement liés à la propagation des maladies tropicales négligées. Les populations vulnérables sont plus susceptibles d’être touchées, et le manque d’accès à l’éducation, à l’eau potable et à des conditions d’hygiène adéquates contribue à la persistance de ces maladies. Enfin, le contexte politique et sécuritaire instable dans certaines régions entrave souvent les efforts de lutte contre les maladies tropicales négligées notamment au niveau du déploiement de personnel médical limitant ainsi l’impact des interventions humanitaires.
Quelles conclusions tirez-vous de cette réalité du terrain ?
Pour surmonter ces obstacles interconnectés, une approche globale est nécessaire. Elle inclut des efforts continus de sensibilisation, d’amélioration de l’accès aux soins de santé, de renforcement de la formation du personnel médical et de promotion de politiques de santé publique efficaces. La collaboration entre les gouvernements, les organisations humanitaires et les communautés locales est essentielle pour progresser dans la lutte contre l’exclusion causée par les Maladies Tropicales Négligées.
La situation sécuritaire au Niger est préoccupante, et de même que au Burkina Faso après les coups d’Etat de 2022. Qu’est-ce que cela implique pour la fondation Raoul Follereau?
La Fondation Raoul Follereau, en tant que partenaire historique des ministères de la santé du Niger et du Burkina Faso, a maintenu un appui constant malgré les défis sécuritaires. La Fondation ne dépend pas de financements institutionnels, elle repose en grande partie sur des dons privés. Cette indépendance financière lui a permis de continuer à œuvrer dans des contextes sécuritaires difficiles. Les programmes de lutte contre les maladies tropicales négligées des Ministères de la Santé du Niger et Burkina-Faso ont dû adapter leur stratégie pour faire face à la situation sécuritaire. Par exemple, au Burkina-Faso le programme a su s’adapter malgré des déplacements de plus en plus difficiles sur le terrain en continuant à mener des activités de dépistage et de supervision. Dans le cadre notre appui, nous avons maintenu un budget constant depuis 2021. Des supervisions formatives ont eu lieu dans plusieurs régions, notamment Ziniare, Tenkodogo, Koudougou et Bobo Dioulasso.
En ce qui concerne les nouveaux cas de lèpre, le programme a réalisé des dépistages notamment dans le sud-ouest pour la confirmation des cas et dans le centre-ouest pour le dépistage. Ces efforts ont abouti à la détection de 170 nouveaux cas au cours des deux premiers trimestres de l’année, démontrant un engagement continu malgré les contraintes sécuritaires. Le programme a lancé avec succès un projet de dépistage communautaire adapté à la situation sécuritaire actuelle. Les résultats sont encourageants, avec 20 cas dépistés en 2022 dans les districts de Ouargaye et Bittou, représentant environ 10% des cas détectés dans le pays. Ces résultats témoignent de la détermination à lutter contre la lèpre malgré les défis persistants. Pour les années à venir, la Fondation a prévu de maintenir son financement au Ministère de la Santé et d’étendre les activités de dépistage. La fondation Raoul Follereau porte une attention particulière à la cause des femmes et des enfants dans ses actions contre les maladies tropicales négligées, l’exclusion par la maladie.
Comment de votre côté intégrez-vous l’aspect genre dans vos réponses d’urgence ?
L’intégration de cet aspect est essentielle pour la Fondation Raoul Follereau, car les femmes et les enfants sont très souvent les plus touchés par les Maladies Tropicales Négligées. Nous accordons une attention particulière à la sensibilisation des femmes dans les communautés endémiques, et nous ne prenons pas seulement en compte leur présence, mais plutôt leur participation pleine et entière. Cela permet aux femmes de prendre des décisions éclairées pour leur santé et celle de leur famille, et d’être nos ambassadrices dans les sensibilisations contre les Maladies Tropicales Négligées. Dans certaines zones endémiques, nous encourageons l’autonomisation économique des femmes en soutenant des initiatives génératrices de revenus. Cela contribue à améliorer leur statut socio-économique et leur capacité à accéder aux soins de santé et à l’éducation pour leurs enfants. En ce qui concerne l’enfance et la mise en place de nos projets de dépistage, notamment en Côte d’Ivoire, nous nous engageons à protéger les droits des enfants, en particulier ceux touchés par les maladies tropicales négligées, et nous travaillons en étroite collaboration avec les familles et les communautés pour assurer la prise en charge adéquate des enfants affectés, ainsi que la délivrance d’actes de naissance et la scolarisation lorsque ce n’est pas le cas.